Les Cromlechs

Les Cromlechs

C’était il y’a longtemps, il y’a tant d’années
Au milieu de ces montagnes, qui furent un temps damnées
Résidaient des hommes et des femmes, isolés dans la vallée
Une civilisation aujourd’hui disparue, que le temps a avalé

Au sein de cette troupe, vaillante et solidaire
Vivait un chef de groupe, un chaman populaire
Qui œuvrait pour la paix, pour empêcher les guerres
Tout le monde l’appréciait, ils en étaient tous fiers

Ce chaman était le sage, il veillait sur chaque âme, son aide était précieuse
Mais il n’était pas seul, il vivait avec une guérisseuse
Qui grâce aux savoirs transmis par ses ancêtres, accompagnaient les souffrants
Elle y mettait tout son cœur, heureuse de les soulager, son savoir en l’offrant

Chaman et guérisseuse, deux personnes qui comptaient
Tout deux s’aimaient beaucoup, ils venaient soi-disant des cieux, du moins, c’est ce qu’on racontait
De leur union étaient nés trois beaux garçons, gentils et solides
Qui dès le plus jeune âge, aidaient les invalides

Dès qu’ils avaient l’âge de comprendre, tout les membres de la tribu apprenaient la légende
Celle racontée par le chaman, sans qu’on ne le lui demande
Un jour, le signal retentirait, il allait falloir tout laisser sur place
Pour se retrouver au sommet, en attendant un projectile venu de l’espace

La vie passait ainsi, avec cette épée de Damoclès menaçante
Mais personne ne s’en inquiétait, l’harmonie était puissante
Un jour, ils le savaient tous, il faudrait bien partir
Mais cette histoire de projectile, ça serait très certainement après eux, dans un lointain avenir

La tribu vivait grâce aux montagnes, et elle les vénérait
Le couple des sages prenait soin de tous, ensemble, ils fédéraient
Leurs enfants grandissaient, intégrés dans cette communauté
Le respect, l’entraide et l’amour, un peuple de toute beauté

Les jours se succédaient, au rythme du soleil
Entre les habitants de la vallée, l’entente se passait à merveille
Tout était partagé, jusqu’au miel des abeilles
Les jeunes apportaient leur force, les anciens l’expérience, les conseils

Régulièrement, le chaman frappait sur son espèce de tambour, pour des raisons diverses
Un rythme approprié à chaque situation, souvent pour demander une averse
Ces différents rythmes étaient pour la tribu comme des codes
Ils les connaissaient tous, et respectaient les attentes de leur protecteur, jamais la moindre fraude

Un beau jour, alors qu’en forêt, les trois garçons aidaient quelques hommes à transporter du bois
Ils entendirent un son familier, à la cadence inhabituelle, ce qui les mit aux abois
Plusieurs fois de suite, six coups rapides, puis deux autres, avec un plus grand intervalle
Le tambour, la légende, « Ciel! C’est le signal ! »

D’un coup, c’est l’effervescence, la panique s’installe
Au village, ça court dans tout les sens , le bois est laissé sur place, les hommes et les garçons détalent
Tous ont compris, comme le chaman le leur avait dit, il est temps de tout laisser
Vite, tous direction le sommet, pas le temps de se prélasser

Une file humaine se dessine sur les flans de la montagne, on croirait une fourmilière
La guérisseuse et ses fils restent à l’arrière
Ils assistent ceux qui peinent, et portent de quoi faire de la lumière
En tête, son inséparable bâton à la main, le chaman guide la troupe, plongé dans ces prières

La colonne d’hommes, de femmes et d’enfants progresse lentement
Le silence règne dans la file, la gaieté a disparu, comme par enchantement
Tous sont absorbés par leurs pensées, songeurs
Se posant des tas de questions, l’estomac noué par la peur

La nuit est tombée, quelques personnes tiennent une torche, le sol, en l’illuminant
Après quelques heures de marche pénible, les voilà arrivés au point culminant
La guérisseuse et ses fils arrivent quelques minutes plus tard, soutenant deux vieillards essoufflés
La température a légèrement chuté, le vent se met à souffler

Là-haut, le chaman sort de sa transe et prend les choses en main
Il sait qu’il ne faut pas traîner, il ne peut pas remettre au lendemain
Il demande du calme et de l’écoute à son peuple, dressé sur un rocher, sous la Voie Lactée
Il donne quelques consignes à la guérisseuse, explique à tous qu’ils auront un choix à acter

Le visage inexpressif, le sage tend son sac à sa fidèle compagne qui s’en empare
Dedans, tout un tas de petites pierres précieuses très rares
Dont seul le possesseur connaît la provenance
Il les a reçu de ces ancêtres, en même temps que leurs savoirs et leurs confidences

La guérisseuse s’approche de chaque personne, à tour de rôle
Elle leur demande de prendre une pierre en fermant les yeux, même les enfants ne trouvent pas ça drôle
Les voilà tous en possession d’une des fameuses pierres mystérieuses
Ils patientent pour connaître la suite, l’ambiance est fiévreuse

La sage guide chaque personne, jusqu’à former un grand cercle humain
Au centre, toujours sur son rocher, son homme demande aux siens d’ouvrir les yeux, de tendre la main
Il leur explique que les pierres sont sacrées, qu’elles n’ont pas toutes la même couleur
Qu’ils n’auront que deux choix, que personne ne pourra décider pour eux, ce choix sera le leur

Tour à tour, les gens ouvrent leur main pour dévoiler la pierre
La guérisseuse va les voir et crée des groupes, avec sa bonté coutumière
Réunissant ceux qui détiennent les cristaux identiques
Ceux au même coloris, ces cailloux ont tous un pouvoir magique

Les groupes sont enfin définis, de nouveau, le chaman prend la parole
Il lève son bras et pointe l’index vers le haut, tout les regards s’envolent
Il crie alors : « une comète arrive, nous allons être pulvérisés !
Mais le choix à venir pourrait vous permettre de rivaliser! »

Dans les groupes, c’est l’effroi
Les propos de leur protecteur ont jeté un nouveau froid
Mais ça n’est pas fini, le chaman continu et explique
Chaque couleur correspond à un futur nouvel état, le choix sera critique

Perplexe, la petite foule écoute avec attention les explications
Ceux qui possèdent telle ou telle couleur de pierre, pourront accepter ou pas la proposition
Soit ils pourront devenir ce qui correspond à l’offre
Soit ils refuseront, laissant faire le destin, enfermant leur chance de savoir dans un coffre

A présent, le chaman énumère les possibilités
Le bleu, ce sera l’eau, avec une chance de pouvoir régulièrement revenir sur ce lieu, de fortes probabilités
Le vert, ce sera le végétal, implanté d’une façon ou d’une autre sur les flans de cette même montagne
Le jaune sera le monde animal, avec la certitude de revenir ici même, pas en continu pour ceux qui seront domestiqués en campagne

A fur et à mesure que le chaman énumère les couleurs et états allant de paire
Les braves réalisent que ce sont toutes les couleurs de l’arc en ciel qu’on leur énumère
Il y’a autant de choix que de couleur, jusqu’à arriver à la dernière
Le violet, associé à tout ce qui est roc ou pierre

Chacun sait désormais en quel état il pourrait être transformé pour espérer encore exister
Quelques rares ont refusé la proposition, persuadés qu’ils pourront tout de même subsister
Les choix sont faits, c’est le moment choisi pour que deviennent des cercles d’humains chaque groupe
Ils le savent tous, ce sont les derniers instants de leur vie en troupe

De nombreux ronds, dont plusieurs dédiés au monde de la roche
Les trois fils des sages se tiennent debout dans le même, jusqu’au bout, ils resteront proches
Petit privilège pour ceux qui se figeront pour l’éternité
Ils ont droit à un choix supplémentaire, ils l’ont bien mérité

Ce privilège, le voici : « vous pourrez rester placés exactement comme maintenant, à une condition
C’est que vous consacriez toute votre énergie à donner de l’amour, faire de la paix mondiale votre ambition
Vous enverrez aux passants toute votre énergie
Afin qu’ils la répandent à leur tour en redescendant, pour que le monde finisse par ne plus supporter la haine, jusqu’à en faire une allergie »

Le temps est compté, les décisions doivent être prises
Qui acceptera d’être scellé à cet endroit précis, de ne plus subir du temps l’emprise
Qui se sentira capable de ne plus penser à lui, de consacrer son existence au monde
Qui souhaite être figé à tout jamais sur ce sommet, à offrir de bonnes ondes

Les membres de la communauté s’observent, l’instant est solennel
Ils n’auraient jamais cru vivre un moment si irrationnel
Ils ne comprennent pas, pourquoi cette comète criminelle
Mais ils acceptent leur sort, ils sont exceptionnels

La plupart des membres des cercles censés devenir roche acceptent d’être scellés sur place, à tout jamais
Ceux qui ont préféré ne devenir que de la pierre banale sont écartés, il n’y a pas de mais
Ils forment de nouveaux ronds, ils ne sont pas jugés
Tout les cercles sont validés, immobiles doivent rester tout les sujets

Les trois frères n’ont pas bougé, ils deviendront un membre du cercle de pierre le plus élevé
Est-ce un hasard s’ils restent ensemble, eux que les sages ont élevé
Est-ce une coïncidence, ou était-ce leur destinée
Est-ce que cet avenir n’est qu’un accident, ou était-ce prévu depuis le jour où ils sont nés

Tout le monde a pris sa place, mais que deviendront les sages, tous veulent savoir
Le chaman doit rester, c’est même son devoir
Pour que l’énergie de son peuple continue d’exister, il doit continuer à exercer ses pouvoirs
Il vivra jusqu’à ce qu’arrive un successeur, à qui il transmettra son savoir

L’homme aux pouvoirs sera séparé de toute sa tribu
Cependant, grâce à son inséparable bout de bois, de sa magie l’attribut
Il pourra choisir parmi ces concitoyens une personne pour rester près de lui
Il désigne sa compagne, et de cendre l’enduit

Les larmes aux yeux, les trois garçons regardent leurs parents, ils ont compris
Mais il doivent obéir, la paix mondiale n’a pas de prix
Les trois frères ont le cœur brisé, cette séparation est si terrible
Les sages ne montrent rien, ils restent impassibles

Le peuple de la vallée est là, figé dans l’attente
Ils savent qu’elle est toute proche, cette menace latente
Les femmes sont effondrées, pleurent leurs progénitures
Les hommes se sont fermés, les expressions sont dures

Soudain, dans la nuit, une énorme détonation, puis un flash
L’astéroïde arrive, la montagne paie cash
Personne n’a eu le temps de réaliser
Tous se sont d’un coup volatilisés

La montagne n’est plus qu’un immense monticule noir
Complètement grillé, un paysage de désespoir
Au sommet, ne restent que des cercles de pierres, avec des flammes au centre
Ces pierres scellées à tout jamais, qui dans l’éternité entre

Les autres cercles ne sont plus, ils sont le feu, avec la matière qui s’est consumée
Ceux qui ont choisi de refuser la transformation sont devenus fumée
Soulevant sa cape, le chaman se relève, et constate le désastre
Il cherche sa dulcinée, mais ne voit que des pierres et du feu, rien d’autre sous les astres

Il s’approche alors de l’endroit où ses fils lui parlaient il y a quelques instants à peine
Il les regarde, devenus pierres, ça lui fait de la peine
Et soudain, en scrutant les autres cailloux, il comprend
L’un d’eux n’y était pas, c’est sa belle, on la lui prend !

En apprenant qu’elle serait séparée de ces fils, la jolie maman n’avait rien laissé voir
Mais lorsque la détonation eut lieu, elle se jeta près d’eux, le saut du désespoir
Elle atteignit le cercle, mais par le flash fut pétrifiée
Elle avait réussi, mais scellée de travers, le chaman put l’identifier

Comprenant qu’il était condamné à continuer seul
Le pauvre homme pris sur lui, et mis sa tristesse dans un linceul
Il le savait, son devoir était de prier à l’infini pour que vibrent à nouveau de ses amis l’énergie
Pour que l’union de sa famille se transforme en synergie

Seul, laissant tomber sa cape, assumant ses responsabilités
Il se plaça devant la pierre inclinée, celle qui avait été sa femme, qu’il avait aimé pour son hypersensibilité
Il contempla le foyer, attendit que la fumée se dissipe, que les flammes s’éteignent
Puis il se mit en transe, invoquant le tout puissant pour qu’il protège ses frères, que plus rien ne les atteigne

Les siècles ont passé, personne pour relater cet événement incroyable
Cette histoire n’est connue d’aucun humain, elle aurait dû être inoubliable
Les cercles sont restés, face au temps restent invariables
On les prend pour des cromlechs, associés à un passé faussement mémorable

La vie a repris, la faune et la flore ont reconquit les montagnes
L’eau coule et tombe toujours, et le vent souvent l’accompagne
Il y’a des moments, où ils viennent toucher les pierres
Et dans ces instants, surgissent parfois des éclats de lumière

Tout les pseudos cromlechs distribuent comme promis de l’amour pour l’éternité
Leurs énergies se sont alliées, elles ne font plus qu’une unité
Chaque être qui passe devant reçoit sans même s’en apercevoir
Une immense dose d’amour, qui le suit et alimente le bien et son réservoir

Si un jour vous avez la chance de randonner dans les parages
Si vous avez la chance de voir ces cromlechs sans âge
Dites vous que les animaux croisés sont peut-être des revenants de cette ancienne civilisation
Tout comme chaque élément qui compose ces lieux, qui ont très certainement subit la sacralisation

Vous connaissez maintenant la véritable origine de ces Cromlechs chargés d’histoire
Vous savez que l’eau, le vent, tout ce qui les entoure sont la mémoire
De ceux qui ont vécu ici il y’a des millénaires
Qui ont fait le choix de se réincarner ici, pour rester dans ce coin qui leur était si cher

Quand à ceux qui ont refusé, on ne sait pas, peut-être qu’ils ne sont plus que poussière
Personne ne le saura jamais, pas même les trois frères et leur mère
Qui, unis dans l’amour, continuent à œuvrer pour la paix, et tuent le Mal sans pitié
Leur père serait si fier, existe-t-il encore, peut-être le croiserez vous un jour sur ces sentiers …

Loïc Otharan
07 Août 2022