La Pieuvre

Qui ne s’est pas déjà senti au moins une fois ligoté
Qui peut dire que ces propres émotions n’ont jamais réussi à le piloter
Qui n’a jamais rêvé d’être libre, de se défaire de liens gênants, les ôter
D’extraire cette chose cruelle, installée dans notre intérieur, sans cesse occupée à le grignoter
Tel une pieuvre se servant de ces tentacules pour nous faire sangloter
Enserrant nos tripes et notre poitrine, étouffant nos projets dans l’œuf, les faisant tous capoter
Lorsqu’en nous les voyants s’affolent, se mettent tous à clignoter
Nous nous sentons démunis et attendons que les autres viennent nous dorloter
Rester sans rien faire, c’est donner à cette pieuvre le bulletin « résignation », en lui disant : « a voté »

Voter, c’est avant tout un droit, un devoir
Mais c’est aussi et surtout un pouvoir
Le tout est de prendre conscience que nous avons tout ce qu’il faut dans le réservoir
Pour nous défaire de ce mal-être, assécher son abreuvoir
Pour couper les tentacules qui font tout pour nous détruire, nous avoir
Couper les vannes qui alimentent les torrents qui nous inondent, sécher les nuages qui en nous font pleuvoir
Voter pour un choix, celui de ne plus laisser de place qu’à l’amour, celui d’en donner, et d’en recevoir
D’accepter de lâcher son passé, de ne plus vouloir toujours tout prévoir
Le jour où nous aurons enfin voté, nos expériences traumatisantes se transformeront tout simplement en un fabuleux savoir

En théorie, rien de plus facile, ces mots pourraient même sembler ennuyeux
Mais je vous assure qu’arriver à ce stade est un projet plus qu’ambitieux
Que ceux qui y sont déjà parvenus ont de quoi faire des envieux
Car ils auront la chance de profiter d’une sérénité que d’autres n’auront qu’une fois dans les cieux
Se libérer de ses angoisses, il n’y a pas d’âge, mais le plus tôt sera le mieux
Ce serait tellement dommage de passer sa vie en étant malheureux, haineux et anxieux
De ne jamais comprendre que nous pouvons sortir de la tourmente, que notre place n’est pas forcément au milieu
Que la vie peut-être autre chose qu’un ouragan furieux
Parler, sans tabou, oser, c’est la clé, je ne peux pas vous dire mieux

Pourquoi cette pieuvre en nous, serions nous nés avec, qui saurait nous le dire
Il est possible que nous portions en nous des secrets portés par nos ancêtres, qui d’entrée nous empêcheraient de resplendir
Des non-dits du passé, des anciens drames, cachés dans notre mémoire, sans que nous ne l’ayons jamais ouï-dire
Cela se traite, des méthodes existent, il ne faut pas se les interdire
Une chose est sûre, c’est qu’en la laissant faire, cette pieuvre ne cessera jamais de grandir
Que nous aurons beau l’ignorer, la cacher, elle reviendra toujours pour nous étourdir
Il ne sert à rien de s’apitoyer sur son sort, de croire qu’elle s’en ira juste parce qu’elle nous voit la maudire
Cherchons à comprendre au plus vite, agissons avant qu’elle ne parvienne à nous refroidir
Que nous soyons nés avec ou pas, il est toujours tant de défaire les nœuds pour mieux rebondir

Que nous soyons nés avec ou sans, cette pieuvre survit en nous grâce à des non-dits, des traumatismes passés sous silence
Qu’elles soient verbales ou physiques, nous avons certainement tous du faire face à des violences
Pour certains, ce ne sont que des mots blessants, parfois dits maladroitement, sans que l’agresseur ne manque pour autant de bienveillance
Pour d’autres, des moqueries, de la mesquinerie, des humiliations, lorsqu’il n’y avait pas de surveillance
Pour d’autres encore, des attouchements, des viols, des actes plus horribles les uns que les autres, qui enfantent la défaillance
Il arrive que des témoins, anonymes ou proches, assistent à ces drames sans agir, en toute nonchalance
C’est le pire dans tout ça, ils se rendent complices, c’est un crime sans équivalence
Les victimes, prisent au piège de ces injustices impunies, ne pouvant parler, figées par la honte et par le refus de devenir une balance
Se voient alors aggripées par les tentacules, qui leur feront vivre tant de turbulences

Foutu mal-être, combien de temps faut-il pour sortir des flammes
Certains n’y parviendront jamais, ils sont passés à l’acte, paix à leur âme
Pour se délivrer de l’emprise du monstre qui nous ronge, retrouver la joie de vivre, ce précieux sésame
Il faut commencer par parler, dénoncer, à l’oral ou à l’écrit, en chanson ou en slam
S’adresser aussi à son ou à ses agresseurs, soulager son esprit de ces douleurs infâmes
S’il est mort, une lettre en fumée, pas besoin de télégramme
Écrire pour se guérir, pas pour faire du mal, ne pas faire l’amalgame
Inspirer le négatif, recracher du positif, ton propre guérisseur, tu t’auto-proclames
Accepter l’impunité, l’absence du pardon, ne pas s’y accrocher, abandonner ses vieilles valises, c’est tout un programme

Si tu souffres en ce moment de ne pas avoir parlé à tant, il n’est pas trop tard
Que tu sois jeune ou vieux, confie toi sans honte, tu n’es pas en retard
Ne culpabilise pas de dire la vérité, quel qu’elle soit, lâche ce poids dès la prochaine gare
Souviens toi, tu es la victime, tu n’as pas demandé à vivre au milieu de salopards
Ils sont coupables, le jour viendra où ils devront répondre de leurs actes face au Père Fouettard
Qu’ils comptent ou non pour toi, ce ne sera pas de ta faute si ta vérité les allonge sur un brancard
Avoue, ose, lâche tout, puis un fois tout dit, jette ces mauvais souvenirs au placard
Savoure maintenant ces instants, regarde vers devant, ne laisse plus revenir cette pieuvre, coupe court à toutes ses attaques, l’avenir t’appartient, tu fabriques ton bonheur, goûte à son merveilleux nectar

Loïc Otharan
05 Janvier 2023