Glou Glou Glou

Glou glou glou

Aujourd’hui, dimanche, c’est jour de fête
Tout le monde est là, la tablée est complète
Maman est au fourneau, l’ambiance est super chouette
L’alcool coule à flot, les gens chantent à tue-tête

« Dis-moi, Maman, je peux goûter? Je peux en avoir ? »
« Ne dis pas de bêtises, tu es trop petit pour commencer à boire
L’alcool, c’est pour les grands, ne fait pas tant d’histoires »
Si tu savais, petit, qu’un jour, tu t’en servirais pour noyer ton désespoir…

Et oui, petit, tu te souviens de cette journée où les gens festoyaient, heureux
Aujourd’hui, c’est à ton tour de goûter à ces moments chaleureux
Tu as rejoint les grands, tu n’es plus un peureux
Merveilleuse sensation d’invulnérabilité, qui te fait te sentir valeureux

La jeunesse, nouvelle indépendance, que c’est bon la liberté
Maintenant, tu sors tout les week-ends, derrière toi la puberté
Terminé l’adolescence, les cours de récré, tu les as désertées
Fini le poids de la famille, bienvenue la légèreté

La fête bat son plein, tu es le roi de la soirée
Timidité envolée, tes copains, ces enfoirés
T’on fait faire n’importe quoi, une fin de teuf foirée
Tu t’es ridiculisé, à tes parents tu diras: « pas ma faute, vous n’y croirez »

Malade et honteux, tu te fais vite oublier
Pour éviter les regards, tu regardes tes souliers
Plus jamais tu ne boiras, les invitations heurtent ton bouclier
Mais reviennent les bons souvenirs, et tu penses aux filles, concentrées, face à leur poudrier

Des années à te lâcher, tout tes week-ends endiablés
On ne peut plus t’arrêter, tu es de toutes les tablées
Les soucis du quotidien, ta façon de les ensabler
Puis un jour arrive celle qui vient te désensabler

Nouvelle vie, tu es maqué
Ton passé s’est fait hacker
Plus question de bivouaquer
Pour cette femme, tu as tout plaqué

Des mois de bonheur intense
Un amour tellement immense
Que fais tu, secret défense
Vous déranger, pour toi l’offense

Puis un jour tu te rends compte que quelque chose te manque
Pour tes soucis, tu ne trouves plus de planque
Tu invites tes potos, pour une partie de pétanque
C’est l’excuse pour l’apéro, et deux trois verres tu te flanques

Ça t’as plu, tu te sens bien
Ça serait cool au quotidien
Mais ta femme ne comprend rien
Elle se braque, et te traite de vaurien

C’est l’adieu aux apéros, tu dois te faire une raison
Tu ne peux plus t’échapper, maintenant, c’est la maison
A jamais boulot dodo, peu importe les saisons
Heureusement y’a du nouveau, la cigogne a une livraison

Te voilà à présent père, et de nouveau, tu espères
Cette fois, tu prends tes repères
Être parent , c’est super
Malheureusement, tu étouffes, coincé dans ton repaire

Bébé est vraiment mignon, mais c’est dur de pas dormir
Surtout qu’il faut du pognon, une bouche de plus à nourrir
Tu n’as plus droit à l’erreur, tu n’as plus droit de mourir
Maman a besoin de toi, tant pis si ça fait souffrir

Des nuits blanches à cogiter, et te revient ton passé
Tes traumatismes oubliés, revenus pour te casser
Tu t’enfonces à vive allure, tu te sens si dépassé
Tu n’as plus qu’une seule envie, celle d’enfin trépasser

Déprimé au plus au point, tu n’as plus d’échappatoire
Plus personne ne pense à toi, l’impression d’être une bonne poire
Le piège se referme sur toi, tu te caches dans le noir
Tu déballes le pack de bières, et puis tu commences à boire

Euphorie et énergie sont venues gagner ton corps
Tu as trouvé le remède, quand ton corps te dis encore
Tu te caches une nouvelle fois, et chaque fois tu t’en sors
Quelques gorgées, c’est reparti, tu marches sur des ressorts

Bébé à déjà grandi, te voilà au milieu d’un mariage
Tu rechausses tes sandales, tu n’es pas long au démarrage
Quand passe l’excitation, surgissent les dérapages
Ton trop plein est déballé, ta fureur, c’est un carnage

De retour à ton foyer, c’est dispute et porte au nez
Ta femme ne veut pardonner, elle ne cesse de bouillonner
Tu n’as pas le droit de répondre, tu t’es bien fait couillonner
Une erreur dans ton parcours, on oublie ce que tu as donné

Le train-train reprend son cours, tu te donnes nuit et jour
Ton enfant scolarisé, qui te donne tant d’amour
Tu voudrais en profiter, mais tu es toujours à la bourre
Faut bosser pour le panier, tu n’as pas d’autre recours

Tes besoins ont augmenté, faut plus pour te soulager
Une seule bière ne suffit plus, les alcools forts viennent t’endommager
Tu as mal, lorsque tu sens qu’on te compare à une personne âgée
S’ils savaient tous à quel point ta vie est comparable à celle d’un naufragé

Spécialiste du camouflage, tu continues ton naufrage
Ton couple est en fin de vie, ton ado trouve ça dommage
En même temps il comprend, entre vous, ça pue le fromage
Si tu quittais la maison, il aurait des avantages

Ça y’est, ton enfant est parti, désormais jeune adulte
Il n’en fallait pas plus pour que ta compagne déserte ce tumulte
Te voilà seul, abandonné de tous, une véritable insulte
Plus rien ne te retient, tout les jours, tu te catapultes

Chaque matin, tu files au bistrot du coin, assis sur ton tabouret
Tu t’injectes quelques doses, avec quelques poivrots au visage labouré
Le soir venu, tu te finis seul chez toi, totalement bourré
Tes habits ne te vont plus, ton ventre, de plus en plus rembourré

Les villageois te montrent du doigt, tu es moqué et méprisé
Tout ce que tu trouves à faire, c’est de continuer à te griser
De tout le monde, tu es devenu la risée
Tes cheveux en pétards te valent le surnom de « La frisée »

Ton ex est partie loin, ta progéniture aussi
Ton enfant a emménagé avec sa moitié dans un appartement cosy
Un jour, venu t’annoncer ton nouveau statut de grand père, il est choqué de voir à quel point tu as grossi
Choqué aussi de ton allure négligée, pour lui, aucun doute, d’un clochard, tu es le sosie

La bonne nouvelle traverse lentement ton cerveau imbibé de ton produit fétiche
Ce n’est que le lendemain que tu réalisera qu’une vérité sortira de tes souvenirs en friches
Cette fois, il est hors de question que tu ne triches
Tu te feras beau, tu veux voir ce nouveau né, c’est ça, être riche

Tu délaisses ton patelin pour rejoindre les tiens dans leur ville
Retrouvailles glaciales, tu es traité comme un débile
Ton passé laissera décidément des marques indélébiles
Pour croire que tout est effaçable d’un coup, faut vraiment être un imbécile

Tu ne te décourages pas pour autant, tu t’accroches à ta dernière chance
Mais ton enfant te déballes alors tout ce qu’il a sur le cœur, tout ce qu’il pense
Toi qui imaginais la réconciliation, tu prends tout dans la tronche, c’est une vraie séance
Manque d’amour, de présence, une multitude de reproches, sans la moindre indulgence .

C’en est trop, tu craques et tu t’enfuis en pleurant
Sonné, tu te perds dans les rues, pour tomber sur une troupe d’ivrognes, regardant la télé en s’abreuvant
Ton désarroi n’intéresse personne, tu pourrais tomber à leurs pieds en crevant
Puis tu t’écroules, délaissé, tel un chien errant

Le soleil se lève lorsque tu retrouves tes esprits
Tu n’as plus rien sur toi, des voleurs ont tout pris
Comment rejoindre ton logis, toi qui bois, pendant que certains prient
Une nouvelle galère, tu n’es même pas surpris

Le soleil est déjà haut lorsque tu arrives au bord d’une départementale
Pouce levé, sourire forcé, personne ne s’arrête, c’était fatal
Un déchet de l’humanité, bien en dessous de l’animal
Qui donc voudrait t’aider, surtout que tu es bancal

Tout espoir est perdu, te voilà sans domicile
C’était sans compter sur cette dame au bon cœur, au sourire si facile
En route elle te questionne, tu réponds, tout docile
Tu avoues que tu n’en peux plus, que tous te considèrent comme un vieux fossile

Tes mots la touchent, certes, mais elle avait compris bien avant
Elle te prend sous son aile, tu seras son protégé dorénavant
Tu seras soigné et suivi, contre les attaques, elle sera ton paravent
Contrairement à tous, elle ne te juge pas, elle se fiche de ce que tu as pu faire auparavant

Le calvaire serait -il véritablement en train de prendre fin
Y aurait-il une porte pour sortir de cet enfer, cachée quelque part dans les confins
Est-ce possible, aurais-tu enfin le droit de manger à ta faim
Une chose est sûre, la bonté et le regard bienveillant de cette dame ne sont pas feints

Tu as tout perdu, maison, boulot, famille
Mais dans ce centre où tu séjournes désormais, on fait au mieux pour qu’à nouveau tes yeux brillent
Ils t’apprennent à comprendre que ta vie a été suffisamment gâchée pour qu’à nouveau tu ne la gaspilles
Séances de psy, médicaments, le reste du temps, tu roupilles

Plusieurs mois que tu es admis dans cet établissement
La dame qui t’a recueilli, bénévole parmi tant d’autres, s’occupe de toi avec dévouement
Peu à peu, tu te sens compris, et tu as hâte de connaître le dénouement
Vas-tu pouvoir enfin vivre sans avoir besoin d’alcool, profiter, tout simplement

Bonnes habitudes et repères
sont pris maintenant, complètement
Tu t’es même fait quelques amis, eux aussi là pour le même avortement
La joie de vivre revient en toi, tu as adopté un tout autre comportement
La récompense, c’est qu’on te place dans un appartement

Tu retrouves ton autonomie, le sevrage fonctionne
Tu restes malgré tout suivi, tes progrès impressionnent
Cette dame qui t’a aidé, qu’est-ce que tu l’affectionnes
Enfin on t’a compris, la nature te passionne

Tes promenades régulières dans le jardin ont été une révélation
C’est comme si ton cœur avait subi une décongélation
Regarder les fleurs, la verdure, repenser à ton passé, aucune corrélation
Dame nature est digne de confiance, elle t’écoutera toujours, sans que tu n’aies à craindre la délation

Ça y est, il est temps que tu quittes ton cher navire
Tu as désormais de la chance, une association finance ta reconstruction, tu as évité le pire
Tu seras logé en échange de quelques heures de bénévolat, pour soigner les nouveaux martyrs
On t’a trouvé un emploi, regardes donc vers l’avenir

Tu n’es plus le même, tu te lèves tout les jours avec entrain
Ton job te plaît beaucoup, tu ne te sens pas contraint
Quelques anciens voisins de chambre, tout juste sortis du pétrin
Sont devenus tes amis, parfois même, tu les étreins

Tu es fort à présent, il est temps de réparer les pots cassés
Tu ne retourneras jamais dans ton village, où tu as failli y passer
Ton petit fils a dû grandir, chez lui, tu veux repasser
Il doit savoir qui tu es, ton image d’ivrogne, y’en a assez

Bonjour mon enfant, je suis venu vous voir, je suis guéri
Je suis ton grand père, petit bonhomme, bonjour mon chéri
Tu n’as entendu que du mal de moi, mais ce moi a péri
Je suis le vrai moi, si loin de mes cuites en série

D’abord réticent, ton enfant a pris le sien sur ces genoux pour t’écouter
Tu lui as prouvé que de l’alcool, tu étais à jamais dégoûté
Que tu n’avais trouvé que ça pour tenir, et que la perte de tout, ça t’avais coûté
Qu’à présent, tu voulais stopper le temps perdu, à l’amour des tiens, tu voulais enfin y goûter

Tant d’années perdues par manque d’écoute et de compréhension
Une vie entière qui a filé, non pas vécue, mais endurée sous haute tension
Une longue route jonchées de regrets, de souffrances, de malheurs engendrés par ton auto-détention
Si seulement cette dame était arrivée plus tôt, si seulement quelqu’un avait compris plus tôt, mais il n’est pas trop tard pour découvrir la nouvelle dimension

Ton petit fils a six ans, tu marches à ses côtés, main dans la main
Ces moments complices où vous profitez ensemble, sans penser au lendemain
Tu les savoures, en lui montrant ta nature si chère, et lui, il passe tout ce qu’il voit en examen
Tu remercies la vie, de vous offrir à tout les deux ce même bout de chemin

Ton expérience n’est pas perdue, dès que tu peux tu la lui enseignes
Il sait désormais que même en voulant bien faire, en voulant protéger les siens, on peut faire de la peine
Il sait aussi que trop garder, ne pas se confier, c’est risquer de semer de la haine
Il sait aussi que si un jour il fait un pas de travers, il pourra dire les choses sans gêne

Tu vois, mon petit, lorsque j’avais ton âge, j’associai l’alcool à la joie
J’ai appris à mes dépends que l’on peut y trouver du bonheur et du malheur à la fois
Je me suis fait piéger le jour où j’ai choisi de boire plutôt que de parler de mon désarroi
L’alcool est un faux ami, il te fait croire qu’il est indispensable, alors qu’il ne fait qu’imposer sa loi

Les addictions se ressemblent toutes un peu, elles sont sournoises et vicieuses
Elles se faufilent en toi en se faisant passer pour des choses agréables, impossible de détecter leur attitude insidieuse
Mais au final, lorsque tu te retrouves dans des moments difficiles, tu te trompes en les croyant de toi soucieuses
Tu consommes le produit pour soulager ton mal-être incompris, car tu te sens seul et désarmé, commence alors la descente aux enfers, jusqu’aux tempêtes les plus furieuses

L’alcool est mal vu, ce sujet est encore tabou, surtout en ce qui concerne les femmes
Elles sont encore plus méprisées que les hommes, elles font face à des injures infâmes
Celles qui boivent sont associées à des femmes faciles, peu respectables, sur leur dos, on diffame
La souffrance de ces dépendants attirent les médisants et les haineux, leur souffrance les affame

L’alcoolisme peut toucher n’importe qui, peut importe le sexe, l’âge ou le niveau social
Il est plus facile de le masquer pour l’homme, qui peut partager un apéro entre copains en prétextant être quelqu’un de jovial
Mais la femme n’a pas le droit à ce traitement de faveur, sous peine de voir son nom gravé chez les nantis et leur grand mémorial
Elle est encore plus isolée, écrasée par ceux qui appliquent le jugement dictatorial

Mon petit, lorsque tu vois une personne de ce type, attend avant de la juger, prend le temps d’analyser
Pose toi les bonnes questions, n’hésite pas à t’en approcher, si tu sens qu’elle peut s’enliser
Ces gens là ont avant tout besoin de relâcher la pression, de déculpabiliser
En les prenant à part, avec les bons mots, il est possible de leur faire entendre qu’il doivent cesser, sous peine de se décrédibiliser

Tu es encore jeune mon petit, l’alcool est une affaire de grands, tu as le temps de voir venir
Je ne serais probablement plus là lorsque tu auras atteint l’âge adulte, je ne peux pas rajeunir
C’est pourquoi j’essaie de te transmettre ce que j’ai retiré de mes expériences, car une fois de l’autre côté, je ne pourrais y parvenir
J’aimerais que tu continues à penser et à aider ces gens plus tard, que tu sois heureux, et que tu réussisses ton avenir

De tout ça, mon petit, la principale chose à retenir
C’est qu’il n’y a pas de honte à faire des erreurs, ça arrive à des gens très biens, lorsque la faiblesse vient les cueillir
Se moquer sans savoir, se réjouir de voir l’autre au plus mal, montrer qu’on est supérieur, c’est ce qu’il y’a de pire
Aujourd’hui c’est toi qui montre la personne du doigt, mais demain, ça peut être toi que le destin choisira d’anéantir

Je t’aime mon petit, je suis heureux d’avoir la chance d’être actuellement à tes côtés, ce fut longtemps inespéré
Nous ne partagerions pas ces instants, si au bord de la route, cette dame ne m’avait pas repéré
Le diable s’est envolé, la magie a opéré
Comme quoi ça vaut le coup de s’accrocher, de toujours espérer

En résumé, mon petit, tu pourras citer ces paroles, venant d’un ancien naufragé, dont les dernières années s’écoulent :
Je puis vous dire une chose sûre à propos de l’alcool
L’alcool, c’est cool…
Jusqu’à ce qu’il vous coule !!

Loïc Otharan
20 Décembre 2022