Fête Dieu et transmission

Tout commence sur les bancs de l’église
Les enfants, tout petits déjà, sur les bancs les plus proches de l’autel, non loin de celui qui exerce la prêtrise
Tantôt debouts, tantôt à genoux, souvent position assise
En admiration devant des hommes, qui pour cette occasion se déguisent
Ces jeunes, qui de génération en génération se mobilisent
Pour perpétuer une tradition ancestrale, célébration exquise
La Fête Dieu, ces chants, ces danses, et ces costumes qui la symbolisent
Journée solennelle, qui rassemble un public de tout âge, avec cette gaieté qui la caractérise

Quelques années de vie à peine
Et déjà placés sur le devant de la scène
Vêtus de blanc, adoptant tout les gestes qui conviennent
Les enfants défilent, et observent avec envie les troupes menées par le capitaine
Captivés par tout ces costumes, d’où parfois se décroche une clochette, pour eux, quelle aubaine
Grisés par le rythme entêtant de la grosse caisse, et de son cortège à l’oreille musicienne
L’arum à la main pour les garçons, pour les filles, des pétales de roses, dont la corbeille est pleine
Ils sont tellement fiers d’apprécier le spectacle, tout en étant aussi dans l’arène

Puis les enfants grandissent, et certains deviennent enfants de cœur
Sous les yeux de leurs plus jeunes camarades, dont certains se montrent moqueurs
Ils assistent le prêtre, de la messe deviennent acteurs
Face à eux les fidèles, qui sont aussi spectateurs
Suivant le rituel, et chantant en cœur
Unis pour prier, en allant chercher leur âme dans les profondeurs
La garde autour de l’hôtel, au milieu de l’allée, sur toute la longueur
L’harmonium d’un côté, de l’autre les musiciens, ce sont eux le moteur

L’école primaire, c’est fini, terminée l’enfance
L’heure est déjà venue d’entrer dans l’adolescence
Les corps se sont développés, ont subi la croissance
Deux postes à pourvoir, des anciens caporaux, il faut combler l’absence
Pour les nouveaux prétendants, c’est l’effervescence
Deux d’entre eux sont choisis, pour entrer dans la danse
Un très grand privilège, en ont-ils bien conscience
Pourquoi donc ce costume, ces armes, quels en sont donc les sens

Un an, deux ans, peut-être trois
Les deux nouveaux doivent à leur tour laisser la place, le costume devenu trop étroit
Un nouveau poste les attend, dans la file, un nouvel endroit
La logique, c’est sergent, mais ça devient soldat, s’il n’y ont pas droit
Le fusil à la main, baïonnette de surcroît
L’un d’entre eux fait la quête, pendant la procession porte la croix
Si le sérieux s’envole, des regards les foudroient
Ils envient ceux qui dansent, dont le tambour major qui fait tourner le bâton, si adroit

La fête Dieu a lieu chaque année, c’est la tradition
L’octave, le dimanche suivant, comme une continuation
Peu de temps avant, le jeudi de l’ascension
Se rejoignent les jeunes pour choisir les remplaçants, une sorte d’élection
Certains rêvent d’être l’élu, ils sont plein d’ambition
Avoir la carrure, la bonne taille, rentrer dans le costume, principale condition
Le dernier vendredi, dernière répétition
Ça dure depuis longtemps, c’est ainsi depuis des générations

Il y’a ceux qui défilent, sur qui les regards glissent
Mais ils ne sont pas seuls, il y’a dans les coulisses
Des petites mains habiles, créatrices et complices
Qui lavent, repassent, cousent, réparent, toujours rendent service
Souvent des mamans qui dans les troupes ont un fils
Il y’a aussi tout ceux qui préparent l’office
Ceux qui s’occupent du reste, sans avoir de notice
Sans tout ces volontaires, ne serait rien l’autorité du Suisse

L’adolescent n’est plus, place au jeune homme, à l’adulte
La plupart continuent à assister au culte
Ne pas être présent, c’est presque une insulte
Certains quittent les rangs, et le passé l’occultent
L’âge pousse les anciens, au loin les catapulte
Des postes libérés, pour trouver ceux à la hauteur, on consulte
Officiers ou danseurs, les remplaçants exultent

Des années à attendre, des années qu’il espère
Et vient enfin le jour, où il revêt l’habit de lumière
Sous les yeux de son père, pour lui c’était hier
Il pense à ces ancêtres, qui de lui seraient fiers
Leur parle avec le cœur, communique en prière
Les saluant par la pensée, en traversant le cimetière
Dans le cortège à l’avant, laissant les autres derrière
Le rôle qu’il attendait, dernier de sa carrière

Rendez vous devant le fronton, tout le monde sur la place
Espadrilles, gants et pantalons blancs, galons cousus, clochettes en masse
La veste avec ces ornements, le béret ou le casque, sous le menton, le noeud qui se lace
Le stress doit s’en aller, il faut briser la glace
Il faut se maîtriser, rester sérieux, garder la classe
Quand un enfant approche, un sourire, une grimace
Toujours les mêmes gestes, les mêmes émotions, jamais je ne m’en lasse
Il faut en profiter, ça ne dure pas, hélas

C’est parti, surviennent les trois coups de baguette
Grosse caisse, tambour et autres instruments passent aux choses concrètes
Cuivres et compagnie, guidés par la trompette
La parade militaire, le porteur du drapeau Basque en tête
Vont chercher le curé, tout est cadré, c’est net
Toujours le même rythme, toujours la même recette
Jusqu’à l’église au pas, sous le porche ils s’arrêtent
Puis ça repart, et vu de l’intérieur, des coqs, apparaissent les silhouettes

Au centre de l’église, démarrant de l’entrée
Deux lignes en parallèle, dans l’allée, comme deux traits
Le regard droit devant, plus que jamais concentrée
L’armée Napoléonienne avance, sous les voûtes plâtrées
L’attente des gens récompensée, la foule est éventrée
Les coqs en tête ouvrent la marche, tout est bien orchestré
Les sapeurs juste derrière, la hache dans le casque encastrée
Tous vont trouver leur place, jusqu’à ce que les derniers se placent, sous la porte cintrée

Suivant les coups du maillet, les pieds des danseurs martèlent le sol
Les clochettes sonnent, le monument vibre et résonne, tout le monde en raffole
Tout les regards sont tournés vers la troupe des bénévoles
Au dessus des têtes, tels des oiseaux qui s’envolent
Aux couleurs de la France, s’agitent deux banderoles
Les portes drapeaux ont enfin l’occasion de montrer l’intérêt de leur rôle
Tout ces jeunes qui ont admiré les anciens, du temps où ils étaient sur les bancs de l’école
Se retrouvent à leurs places, dans leur tête, tout un tas de symboles

Porter l’accoutrement tant désiré, le fameux costume
Ce fut pour moi bien mieux que de recevoir des honneurs à titre posthume
Non pas que ça me donna l’impression d’être une grosse légume
Mais simplement la joie de ressentir le privilège de faire devenir les gestes des anciens une de mes coutumes
Savourer chaque détail des ornements portés, jusqu’à la moindre plume
Se mettre en transe dès la première note de musique, comme seul dans la brume
Puis vient le jour où il faut transmettre, laisser la place, avec une pointe d’amertume
Revenir en tant que simple spectateur, pour la petite larme, prétexter un début de rhume

Loïc Otharan
21 Juin 2022