Envolé

Envolé

C’était un soir d’été, un soir de pleine lune
Comme à son habitude, il se promenait tranquillement, le long des dunes
Se laissant bercer par le bruissement des vagues venant de la lagune
C’était un soir comme les autres, jusqu’à ce qu’il rencontre cette brune

Plus d’une heure qu’il flânait, la tête dans les nuages
Jusqu’à ce qu’il la voit, elle, avec ses bagages
Seule, prise en flagrant délit de vagabondage
A tourner et virer, comme un lion en cage

Intrigué par cette attitude si particulière
Il alla à sa rencontre, sa gentillesse en bandoulière
Arrivé à sa hauteur, ce fut comme s’il portait une muselière
Il ne put sortir un mot, tellement elle lui paraissait familière

La brune, qui semblait complètement affolée
Cherchait un endroit où s’isoler
Il comprit très vite qu’elle était à deux doigts de s’immoler
Qu’elle était véritablement déboussolée

Retrouvant ses moyens, il essaya de la consoler
Dans ces bras, elle craqua, il ne put s’empêcher de la cajoler
Toute une nuit à discuter, les soucis s’étaient envolés
Au petit matin, on aurait dit des enfants en train de batifoler

Cet homme, qui depuis le décès de son épouse vivait en solitaire
Fit ce jour là une croix sur sa vie de célibataire
Elle, qui depuis longtemps n’avait pas mis un pied à terre
Emménagea chez lui, sans vraiment avoir dévoilé tout ces mystères

Au tout début, l’entente fut excellente
Elle semblait si joyeuse, d’une gaieté insolente
Mais les ondes négatives semblaient bien collantes
Car sans prévenir, certains soirs, il subissait la déferlante

En effet, elle qui souriait souvent de toutes ses dents
Semblait parfois avoir en elle quelque chose d’obsédant
Une sorte de monstre intérieur la possédant
Une chose qui lui aurait rendu le plus grand des services en décédant

Lui, qui avait appris à apprécier cette brune pétillante
Se retrouvait certains soirs devant devant un être bien différent, aux allures malveillantes
Ces changements arrivaient toujours de façon violente
Et cela finissait systématiquement par des pleurs, après la gueulante

Le temps passant, il espérait que ça s’arrangerait
Que le monstre laisserait sa compagne tranquille, qu’il se rangerait
Que par son soutien, la créature disparaîtrait, que l’envie de fuir la démangerait
Mais à force de revoir cette bête immonde ressurgir n’importe quand, il se dit que jamais rien ne changerait

Pourtant, Dieu sait que ce monstre ne plaisait à personne
Pas même à son hôte, qui faisait de son mieux pour qu’il démissionne
Mais régulièrement, sans être convoqué, sans que son téléphone ne sonne
L’ignoble créature ressurgissait, nourrie par les angoisses, la colère, tout ce genre de sentiments qu’elle affectionne

Ce monstre était devenu un véritable parasite
Et l’homme n’en pouvait plus de supporter toutes ses visites
Toujours sur le qui-vive, un instant le bonheur est là, mais pour rester il hésite
Une vie en dent de scie, faites de nombreux matériaux composites

La brune souffrait tout autant de ce fléau
Elle se sentait démunie, elle subissait tout les caprices de la météo
Elle ne se souvenait jamais des moments où elle était possédée, il lui fallait voir des vidéos
Pour comprendre à quelle point elle pouvait devenir odieuse, pour observer l’être qui venait squatter son préau

À chaque lendemain de dispute, elle se confondait en excuses
Promettant de tout faire, d’utiliser toutes les ruses
Pour contrer cette ordure, chasser cette intruse
Un seul objectif, retrouver la paix intérieure, détruire les noirceurs, sans que ça ne se diffuse

Malheureusement, les incessantes apparitions du monstre eurent raison du courage de l’ancien célibataire
À plusieurs reprises il avait menacé d’abandonner, ou de ne plus se taire
Il craignait de vieillir prématurément, par le stress devenir grabataire
Cette fois, ce fut celle de trop, même s’il savait que rien n’était prémédité, que ça n’était pas volontaire

Ce jour là, le monstre s’était montré encore plus virulent
Le couple venait pourtant de s’installer devant un repas succulent
Un détail imperceptible, mais pourtant circulant
Était à nouveau venu gâcher l’instant, avait rendu le moment plus que turbulent

Devant sa compagne une nouvelle fois transformée
Par la rage et les rancœurs, le visage déformé
L’homme n’y teint plus, et toutes ces convictions se virent réformées
Pourquoi donc son cerveau, dès le début de cette relation, avait oublié de l’informer

Le monstre était plus fort, il ne restait que lui, son hôte était englouti
L’homme ressentit un choc en son intérieur, son cœur comme embouti
Il comprit que pour réparer la panne, il n’avait pas les outils
Ses espoirs tombèrent définitivement à l’eau, tant d’efforts inutiles, tant d’énergie perdue, son projet inabouti

Ne voyant pas d’issue positive
Son imagination ne fut pas bien créative
Dans son esprit, une seule alternative
Fuir, partir loin pour de bon, cette fois, la décision est définitive

Le voilà assis dans son automobile
Si quelqu’un constatait sa fuite, il ne comprendrait pas le mobile
Mais peu lui importe, il ne peut plus encaisser ainsi en restant immobile
Faire face à ce monstre dévastera sa vie s’il reste, c’est pire que Tchernobyl

Le corps tendu, la tension très élevée
Le conducteur avance , et se gare sur un endroit surélevé
La mer est en bas, tant de fois son moral elle a relevé
Il se dévêtit, si seulement les émotions trop fortes étaient aussi facile à enlever

La nuit est tombée, le monstre s’en est allé
La brune pleure, sur une chaise elle s’est affalée
Très vite, elle stoppe ses sanglots, s’oblige à les ravaler
Son homme n’est pas revenu, pourvu qu’elle n’ait pas de disparition à signaler

Les heures passent, personne ne revient
Elle a cherché partout, mais il n’y a toujours rien
La nuit est terminée, il lui faut du soutien
Plus le temps passe, plus les chances s’amenuisent, elle le sait bien

Des jours que le monstre n’a pas donné signe de vie, elle est trop occupée
Elle passe son temps dehors, sa maison reste inoccupée
Son homme toujours absent, elle vit préoccupée
C’est promis, s’il revient, elle ne laissera plus le monstre la réoccuper

Quelques jours plus tard, un appel la rend mal à l’aise
La police la convoque, et c’est un grand balaise
Qui lui annonce la trouvaille, l’auto et les habits, au bord de la falaise
Ce sont les dernières traces, pour elle c’est le malaise

Les semaines ont passé, le temps s’est écoulé
Personne n’a jamais su, si l’homme avait coulé
S’il a refait sa vie, s’il est parti roucouler
Des incertitudes, des tas de questions vont dorénavant en découler

Les années ont passé, la brune toujours sans réponse
Le temps n’efface rien, et la douleur ne ponce
Le monstre est revenu, chaque jour il la défonce
Mais personne pour le voir, personne ne le dénonce

Elle songe à son amour perdu, dans ces instants lucides
Qu’est il donc devenu, s’agit-il d’un suicide
Peut-être qu’il voulait revenir, que c’est un homicide
Elle ne saura jamais, mais à faire le deuil, elle ne se décide

Quand dehors le vent souffle, elle regarde par la fenêtre
Elle écoute les sifflements, et regarde bouger les hêtres
Et dans les champs voisins, elle voit les vaches paître
Son homme les aimait tant, bon sang, que la vie est traître

Qu’est-il donc devenu, qui sait où il se trouve
Ceux qui disent qu’il est mort, faudra qu’ils le lui prouvent
Même s’ils n’ont pas tort, elle sait ce qu’elle éprouve
Vivement que le destin face en sorte qu’ils se retrouvent

Loïc Otharan
26 Mai 2022